I.I

I.I

DSC_1328-2
Larcy, avril 2017

« Si c’était à refaire, je n’aurais pas eu de gosses », me disait mon père de temps à autre. Loin d’être blessée par cet aveu, je me contentais de hocher gravement la tête. Son inquiétude à mon égard l’avait rongé toute sa vie, et je ne lui en voulais pas. Quant à moi, si je coulais à ce moment-là une existence heureuse, je n’avais que trop conscience de l’impermanence des choses, et ne pas être née me paraissait être un sort plus enviable que celui de devoir un jour être confrontée aux souffrances accompagnant la mort. Cette terrible perspective rendait futiles tous les bonheurs qui pouvaient précéder.

Mon père avait su dès l’arrivée de son premier enfant qu’il avait commis une erreur, mais il avait persévéré cinq ans plus tard en choisissant de me faire naître afin que mon grand frère ne se retrouve pas seul en ce monde, et que nous puissions nous entraider.

Je naquis au début des années 90 dans un grand hôpital parisien, d’un père policier et d’une mère comptable. Mes premiers souvenirs, vagues et confus, remontent aux alentours de mes trois ans. Je me rappelle ma nourrice, sévère, qui me grondait pour que je mange du maïs. Je me revois aussi m’émerveillant devant des lapins enfermés dans des clapiers. Mes parents affirment qu’ils m’emmenaient les voir lorsque je n’avais pas encore prononcé mes premiers mots et que j’étais normalement trop jeune pour que ces souvenirs s’impriment dans ma mémoire, mais je suppose que des visites ultérieures ont eu lieu et que les réminiscences les plus récentes se sont confondues avec les plus anciennes car je crois me rappeler avoir déjà en tête, à cette époque, un langage parlé. Lorsqu’elle se promenait là-bas avec moi, ma mère passait de longs moments à me raconter l’histoire de mes ancêtres dans la région.

Je n’oublie pas non plus l’impression étrange que m’inspiraient tous ces symboles indéchiffrables qu’étaient les lettres de l’alphabet. Je tentais tant bien que mal de deviner l’histoire des albums de Tintin que j’avais sous les mains en regardant attentivement les expressions des personnages. Je mourais d’envie de savoir lire, et mon vœu commença à être exaucé à l’âge de trois ans et demi : au moment où j’entrai en maternelle, ma mère entreprit elle-même de m’enseigner la lecture, comme elle l’avait fait avec mon frère.

Les commentaires sont clos.