I.II

I.II

Cet apprentissage de la lecture reste l’un de mes meilleurs souvenirs. J’y prenais un vif intérêt réclamais ma leçon avec une ardeur qu’aucun obstacle ne pouvait diminuer, pas même la maladie et ses quarante degrés de fièvre. Tous les soirs, ma mère et moi nous asseyions sur la moquette pour travailler, et, l’exercice terminé, j’avais droit à quelques petites dragées multicolores au chocolat. L’une des règles de la maison interdisant de manger des bonbons, je trouvais ce mets d’autant plus savoureux.

Malgré mon assiduité, je ne manquais pas d’espièglerie.  Un jour, alors que mon professeur s’en était allé chercher ma récompense, j’entendis un grand bruit dans le cagibi. En m’y rendant, je découvris ma mère, pliée en deux sous l’effet de la douleur, une boîte de dragées à la main. J’appris plus tard qu’elle s’était cassé le coccyx, mais dans l’instant, j’arrachai le tube de Smarties d’entre ses doigts et m’enfuis pour dévorer son contenu plus à mon aise.

Quand ma maîtrise de la lecture devint plus assurée, ma mère eut l’idée de m’entraîner en me faisant lire de menus ordres qu’elle notait elle-même sur un cahier. L’exercice était ludique, et je progressai  vite. Je devais faire des grimaces, sauter sur un pied ou aller échanger quelques mots avec les autres habitants de la maisonnée. Un soir, je lus la phrase suivante : « Va donner une tape à papa ». Je m’exécutai avec empressement, et l’intéressé, faisant honneur à son habituelle douceur, me répondit d’un coup qui me dissuada de jamais recommencer. Cet incident amusa beaucoup ma mère, mais pour ma part, cela ne fit qu’augmenter la crainte que j’éprouvais envers mon père.

 

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