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Mois : octobre 2016

I. 0 – Introduction

I. 0 – Introduction

Fougère
Larcy, été 2016

Octobre 2016.

Ma mère aimait collecter les traces des vies passées. À l’époque de la restauration de la maison, elle examinait chacune des tuiles moussues récupérées sur le toit avant de se débarrasser des plus abîmées. Elle me conviait ensuite à admirer ses trouvailles et faisait défiler sous mes yeux toutes les plaques de terre cuite marquées d’une empreinte de patte de chat ou de la signature d’un ouvrier d’un autre temps. Nous tentions d’imaginer notre maison à cette époque-là, le quotidien de ses occupants, les pensées qui les habitaient à l’instant où ils tenaient la tuile entre leurs mains, et mon imagination m’entraînait dans des rêveries délicieuses.

Lorsque les travaux nécessitaient de creuser dans l’un de nos très anciens murs, ma mère évoquait la perspective de retrouver un message scellé depuis des siècles dans une niche entre les pierres. Je rêvais de retrouver les écrits de lointains ancêtres qui, tout en relatant leur histoire, m’auraient confié des secrets et livré des pensées dans lesquelles, je n’en doutais pas, je me serais reconnue en tout point.

Les cloisons de notre demeure n’ont hélas craché jusqu’ici que de la chaux, des ossements et des morceaux de bois. Mais si l’espoir de retrouver un message poussiéreux s’est aujourd’hui complètement évanoui, une autre envie est née de ces rêveries : je souhaite rédiger moi-même ce texte si longtemps attendu. J’en enterrerai un exemplaire quelque part sous la maison familiale et une copie restera affichée ici, livrée aux visiteurs de passage.

Ce désir me tiraille depuis plusieurs années déjà et j’avais, dès le lycée, commencé la rédaction d’un tel recueil, mais mon travail inachevé me semble avec le recul trop fragmenté et maladroit. Depuis quelques temps, j’ai commencé à fixer mes souvenirs au brouillon afin de parvenir à les ordonner et à les entremêler plus aisément. Même si ma mémoire tend à se manifester par vagues thématiques isolées, mes expériences découlent les unes des autres et il me semble désormais important d’améliorer la fluidité de mes textes. Je n’écris pas cet herbier seulement pour l’individu  qui déterrera mon message dans un ou deux siècles : je le fais aussi pour parvenir à une meilleure compréhension de moi-même, perspective qui serait compromise par un récit trop parcellaire, aux épisodes décousus.

J’ai donc mis de côté ces textes vieux de presque dix ans : j’en étais trop insatisfaite pour parvenir à les poursuivre. Je recommence donc ce travail à partir de rien, ou plutôt, en m’appuyant sur des bribes de mémoire encore plus estompées qu’auparavant, dont l’impermanence à présent tangible aura ajouté à l’urgence d’écrire ressentie ces derniers mois. Cette impatience est hâtée par des pressentiments funestes irrationnels et diffus. J’espère pouvoir trouver quelque apaisement dans l’achèvement de ce texte.

Mon herbier sera un recueil d’expériences, de sensations, d’impressions sans doute très ordinaires, mais ornées, je l’espère, des teintes qui me sont propres. Je n’ai jamais aimé les biographies que pour les atmosphères qu’elles renferment, si particulières, si étroitement liées à leur auteur, ce mélange subtil aux ingrédients familiers mais au dosage unique et étrange qui perce des lucarnes sur d’autres univers.