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Mois : août 2018

V – 1.

V – 1.

Je dénichai le profil d’Armand aux alentours de la fin de l’année 2013, ou peut-être le début de 2014. Alors étudiante en lettres appréciant la littérature, j’avais été séduite par sa prose, relayée régulièrement sur Facebook par un ami commun.

Parmi le vivier d’individus dont j’avais croisé la route sur Internet, seuls quelques-uns s’étaient jusqu’ici montrés capables de s’exprimer correctement. Armand en faisait partie et je m’en étonnai, considérant que ses écrits surpassaient en qualité ceux que l’on pouvait trouver dans de nombreux ouvrages ayant franchi l’étape de la publication. Il abordait divers sujets, de la musique aux livres anciens en passant par des billets plus autobiographiques qui relataient ses amours passées ou offraient à ses lecteurs d’hilarantes anecdotes tirées de son quotidien. Son style était fluide, son vocabulaire riche et sa grammaire excellente, mais non content d’exceller sur la forme, Armand savait aussi faire preuve d’un humour et d’une répartie qui m’impressionnaient, moi qui avais toujours été trop nerveuse en société pour que de tels mots d’esprit me viennent aussi spontanément.

Armand publiait sur sa page depuis plusieurs années. D’abord, je n’y fis qu’un rapide passage, trop intimidée par ce personnage que je voyais déjà devenir un écrivain renommé – ce n’était assurément qu’une question de mois. Mais loin de m’attirer à lui, cette destinée que je lui prédisais me maintint plutôt à distance : viscéralement rebutée par l’esprit de compétition, je n’avais pas la moindre envie de devoir me battre pour conserver ma place auprès de quiconque au moment où cette personne, devenue célèbre, se ferait courtiser par une foule d’admirateurs fraîchement débarqués. Par ailleurs, mon dégoût de moi-même me poussait à considérer que ma présence aux côtés d’un artiste en phase de création constituait un parasitisme  nuisible à son travail. Je n’avais en effet rien d’intéressant à apporter à personne et je devais donc œuvrer pour que mon existence passe autant que possible inaperçue.

Je m’abstins donc de rédiger le moindre commentaire sur son mur ce soir-là mais lui témoignai mon admiration pour ses textes en likant discrètement ceux que j’avais le plus appréciés. Je quittai sa page en me promettant d’acheter le roman qu’il publierait selon ses dires bientôt, assurée que sa lecture constituerait une agréable expérience.

De nombreuses notifications m’attendaient le lendemain matin, et je fus stupéfaite de voir qu’elles venaient de lui. Cet homme bientôt illustre était venu sur mon profil pour y commenter plusieurs de mes photos. Son invitation à devenir amis suivit rapidement et je ressentis immédiatement une boule au ventre : Armand faisait erreur, j’étais indigne de figurer parmi ses contacts et il finirait bien par s’en rendre compte un jour ; tout cela résultat probablement d’un malentendu dont je ne parvenais pas à identifier l’origine. Cependant, je ne pouvais pas non plus justifier mon refus en lui opposant mes motivations réelles : ces dernières prenaient racine en mon manque d’estime de moi, si profond, si anormal qu’elles auraient pu sembler hypocrites à quelqu’un ne me connaissant pas. Je ne voulais pas donner l’impression de chercher à ce que l’on me rassure ou me complimente, aussi me tus-je et acceptai son offre.

 

 

[Film] Morse (2008)

[Film] Morse (2008)

Ce qui frappe d’abord dans Morse, c’est le choix du cadre spatio-temporel, qui tranche radicalement avec les atmosphères gothiques, aristocratiques ou orientalistes de beaucoup de films de vampires. L’action se déroule en effet dans la Suède pauvre des années 1980, au cœur d’une ville glaciale, envahie par la neige et vidée de ses habitants. De cette association unique émerge une atmosphère que l’on ne retrouvera nulle part ailleurs et qui sera renforcée par la froideur des personnages mêmes. Ceux-ci toujours distants entre eux, échangeront parfois quelques paroles poussives et monocordes entrecoupées de longs silences contribuant ainsi à la construction d’une esthétique clinique et déshumanisée qui se marie parfaitement avec le thème du vampire. Dans Morse, les êtres vivants ressemblent tous à des cadavres ambulants, barricadés dans leurs HLM-cercueils, exclus de la société et ne ressentant rien, hormis la solitude et la haine.

Malheureusement, cette déshumanisation va sans doute trop loin et constitue à mon sens le défaut majeur du film : à trop être vidés de leur âme, les personnages principaux manquent cruellement de profondeur. Le scénario en lui-même est assez basique – une histoire de chasse, de harcèlement et de vengeance enjolivée de quelques péripéties et non exempte de deus ex machina – et les protagonistes sont caractérisés de manière beaucoup trop simpliste – on sait peu de choses du héros, en dehors de son désir de vengeance et de son inaptitude sociale. Quelques pistes sont parfois évoquées ici et là (la relation de l’enfant avec son père, la cicatrice mystérieuse de la vampire), mais elles sont trop superficielles pour parvenir à contrebalancer la pauvreté de l’intrigue. Enfin, la musique, qui savait pourtant se faire discrète durant la majeure partie de l’oeuvre, est d’une lourdeur excessive dans les scènes finales : ses notes dramatiques sont inaptes à nous communiquer la détresse du héros et m’ont laissé un arrière-goût de film raté, au potentiel intéressant mais loin de remplir ses promesses de finesse et d’originalité.


Film regardé le 30 juillet 2018.

Note : 5/10